Curtis Mayfield – Short Eyes - The Original Picture Soundtrack (Curtom CU 5017, 1977)

Titres
A1 Do Do Wap Is Strong In Here 5:28
choeurs : Mystique
A2 Back Against The Wall 6:34
A3 Need Someone To Love 3:11
A4 A Heavy Dude 4:07
B1 Short Eyes - Freak, Freak, Free, Free, Free 5:40
B2 Break It Down 4:17
compositeurs H. P. Denenberg, Martin Hirch
B3 Another Fool In Love 3:20
B4 Father Confessor 2:40
Crédits
Curtis Mayfield : guitare principale, chant
Alfonso Surrett, LeRoy Hutson, Ricki Linton : choeurs
Gary Thompson : guitare rythmique
Joseph Scott : basse
Donnell Hagan : batterie
Floyd Morris : claviers
Rich Tufo : claviers, arrangements des claviers
"Master" Henry Gibson : bongos, congas
Sol Bobrov : direction des cordes
Lenard Druss : direction des cuivres
Toutes les compositions sont de Curtis Mayfield sauf "Break It Down"
Producteur : Curtis Mayfield
Curtis Mayfield a toujours apporté un soin particulier à ses bandes originales de films qui, à ce titre, figurent toutes parmi ses plus grands succès commerciaux, Super Fly en premier lieu bien évidemment. Toutes ? Non ! Car l'une d'entre elles résiste encore et toujours à la reconnaissance des plus avertis, considérée trop souvent comme secondaire dans la discographie pléthorique de Monsieur Mayfield, quand elle n'est pas reléguée au rang de simple curiosité sonore.
"Short Eyes" a tout de l'album maudit. D'une part, il traite d'un sujet difficile (la survie en milieu carcéral) en décalage total avec une Amérique s'essayant alors aux chemises en polyester brillantes sur les dancefloors disco. D'autre part, son compositeur lui consacra un important investissement artistique et financier dont il ne fut pas payé de retour (l'album, sans morceau évident dont on fait les tubes et plombé par l'échec commercial du film, fut un bide notoire), ce qui précipita la chute de la maison Curtom Records.
Pour autant, cet opus, aux plages musicales infiniment riches et variées, aux arrangements éblouissants et qui contient certaines des parties de guitare les plus incisives de Curtis, mérite de trôner très haut sur l'estrade des albums essentiels du maître de la Chicago-Soul pourtant peu avare de chefs-d’œuvre musicaux.
Curtis y est accompagné de Gary Thompson à la guitare rythmique qui travaille avec lui depuis 1975, du réputé pianiste-clavériste de jazz Floyd Morris, ami de Johnny Pate et de Oscar Brown Jr., du génial arrangeur Richard Tufo qui ne quitte plus Curtis depuis "Back To The World", des fidèles Joseph "Lucky" Scott et Master Henry Gibson que l'on ne présente plus, de Donnell Hagan qui assuré la batterie de "Never Say You Can't Survive" et de l'album "Leroy" de "Leroy Hutson", dudit Leroy Hutson (tiens, tiens...) qui assure de formidables chœurs avec Ricky Linton, Alfonso Surrett et le groupe Mystique.
Mais ouvrons sans plus tarder les portes du pénitencier mayfieldien :
- Do Do Wap is Strong in Here, funk au groove et aux paroles sans concession, dont la guitare mord comme un crotale. Un classique que l'on retrouve dans bon nombre de compilations dédiées au grand homme et qui n'aurait pas dépareillé sur "Back To The World". A l'orgie rythmique savamment maîtrisée de l'ensemble, le duo Mayfield-Tufo y ajoute des cordes venant appuyer juste ce qu'il faut l'intensité vrombissante de la chanson. Le gimmick vocal "Hmm Hmm" ponctuant chaque phrasé de Curtis en première partie de morceau est un régal.
- Back Against The Wall, où le falsetto habituellement angélique de Curtis se mue en un fausset quasi anxiogène dans un morceau aussi sombre que magnifique. Une intro qui fend le cœur, une mélodie inspirée, à couteaux tirés, qui prend tout son temps pour se déployer, des arrangements exquis, des chœurs masculins trempés dans de la sève de soul, la putain de batterie de Donnell Hagan qui emporte le morceau dans un final haletant et surtout, surtout des solos de guitare acérés comme jamais.
- Need Someone To Love, le morceau pétillant de l'album, presque joyeux, d'où jaillissent des chœurs finement ourlés se révélant pour la cohésion de la chanson tout aussi importants que le chant de Curtis.
- Heavy Dude, funk groovy porté par la basse bien lourde de Joseph "Lucky" Scott et les percussions à la subtilité diabolique de Master Henry Gibson. Le morceau joue habilement du contraste entre une rythmique ultra syncopée et un refrain lyrique où les chœurs mènent un dialogue aérien avec les aigus pugnaces de Curtis.
- Short Eyes/Freak, Freak, Free, Free, Free, morceau éponyme de l'album doublé d'un instrumental sur lequel la guitare et les percussions font des merveilles. On retrouve ici tout le génie et la science de Curtis pour lier mélodie, groove et orchestration en un unisson musical parfaitement construit et équilibré, qui ne verse jamais dans la démonstration. Chant, accompagnement vocal, guitare, section rythmique, clavier, cordes, cuivres et mille petites autres subtilités orchestrales, tout est divinement en place, aéré, admirablement dosé, toute en puissance retenue. La transition entre les deux morceaux est idéalement amenée par un fondu enchaîné rythmique dominé par les percussions de Maître Gibson. Le final ne sonne pas du tout 1977 mais bien Blaxploitation 1972.
- Break It Down, le moment de grâce absolue de l'album, paradoxalement le seul morceau non crédité à Curtis. La mélodie est complexe mais d'une beauté désarmante, le tout servi par des arrangements acoustiques (clavier et guitare notamment) d'une délicatesse inouïe. Curtis n'aura peut-être jamais chanté d'une manière aussi poignante, nous transportant dans des abîmes de détresse teintés de soubresauts d'espoir. Du nectar de miel.
- Another Fool In Love, Curtis Lee Mayfield, profession : sculpteur de soul.
- Father Confessor, instrumental très original dans la discographie de Curtis, découpé en petites scénettes pastorales où roule le tonnerre. Les cordes élégiaques, guitares en tête, y prennent des accents de rédemption pour clore l'album sur une note d'apaisement. Comme un écho à la beauté de "Break It Down".
Le dernier grand album de Curtis Mayfield.