Reflections Of Time featuring Padro - Sweet Romantic And Sexy Joy
(Padro Production PLG-777, 197?)
Titres
A1 Joy 3:51
A2 Ride Your Pony Girl 2:47
A3 Candy Shack 4:00
A4 Baby I Don't Like You 3:51
A5 Don't Go 4:11
A6 I Lost One Bird In The Hand 4:07
B1 This Old House 5:47
B2 The Best Thing For Me 3:19
B3 I'm Willing 3:47
B4 Baby I'm A Want You 4:07
B5 Reflections Of Time Party 4:37
B6 Silly Billy 4:07
Crédits
Padro Lawrence Gray : voix
Arrangements : Padro Lawrence Gray
Composition : Joe Guidry
Production : Padro Lawrence Gray
MEURTRE :
Le détective privé R. escalada quatre à quatre l'escalier qui le conduisit sur le palier du dernier étage d'un immeuble cossu, la porte ouverte, il s'engouffra le long du couloir sombre au bout duquel une junkie nipponne flashy aux nattes rebelles, hystérique, pointait du doigt un homme nu affalé, la tête éclatée à tel point que l'on ne pouvait plus identifier sa race, et au milieu des éclats de cerveau éclaboussés de sang sur la moquette shaggy couleur crème, reposait intacte, vierge de toute vomissure, entre le pouce et son index, la pochette d'un 33 tours au titre mystérieux : « Reflections Of Time featuring Padro : Sweet, Romantic And Sexy Joy ».
-« C'est mon père, y s'est pas suicidé, non, on l'a tué, retrouvez moi son assassin » s'écria la nymphette aux nattes retombées qui lui tendit le vinyl "... et c'est la seule pièce à conviction".
Le détective R. rentra chez lui, exténué, la vision encore embrouillée par les images d'un homme dont la tête n'était plus que bouillie. Sa curiosité le piqua au vif en regardant la pochette entre ses mains : "bien ringarde, typique des années mid seventies, plutôt soul que funk il me semble ...". Il sortit alors son pistolet antistatique Nagaoka N.103 Kilavolt - fourni par ses deux dealers favoris le jovial Wonder B. et le révérend Funkiness au visage taillé à la serpe - pour dépoussiérer le vinyl en songeant qu'il était, finalement, plus amateur de bonnes vibrations qu'expert en criminologie. Il déposa avec précaution la galette sur sa Technics 1200 MK2 et ferma les yeux.
Le premier morceau « Joy » le scotcha littéralement : soupirs et râles remplissaient la pièce, la jouissance en suspens, la passion vécue comme une catharsis, ce titre ferait passer Barry White pour un enfant de chœur. Le reste était plus classique, mais aussi poignant. La prise de son était le plus souvent caverneuse, les violons semblaient être rouillés, le falsetto possédait un timbre électrique. Cela lui rappelait les premiers enregistrements amateuristes du label Stang pour les Moments qui eux-mêmes lui rappelait étrangement les interprétations de Wilhelm Furtwängler des œuvres instrumentales de Wagner pendant la seconde guerre mondiale. En mono. Ce que l’on perdait en tessiture somptueuse, en opulence orchestrale, on le gagnait en intensité. Et cet album, ce collier pouvait se targuer de posséder 12 superbes perles. Il se leva, content devant cette sacrée découverte, un grand disque de Soul - un peu - tombé du ciel, oubliant presque son enquête, et reprit un scotch avant de se coucher tout en pensant que quelque chose clochait.
Et à partir du lendemain, effectivement, les choses se compliquèrent, sacrément. En se connectant sur le Net, il fit des recherches sur le groupe "Reflections of Time" et le fameux Padro qui s'appelait dans la réalité "Padro Lawrence Gray" et qui était le principal exécuteur : tout à la fois arrangeur, producteur et lead vocal de cet album. Il ne trouva presque rien sauf la reproduction d'un article daté de 2003 dans Wax Poetics qui mettait en exergue une vaste supercherie. Le détective se cala dans son fauteuil car cela devenait très intéressant, au même moment crachouillait sur sa télévision "F... for Fake" où l'on voyait un impressionnant Orson Welles dans un rôle d'illusionniste habillé d'une cape noire flottante et d'un chapeau magister. Il fut tout de suite happé par le film qui montrait de façon extraordinaire et ludique une galerie de "vrais faussaires, de faux-semblants, de mensonges vrais et de vérités tronquées". Il n'était pas loin de penser que ce vertigineux abîme de poupées russes singeant la vérité s'adressait aussi à tout ce qui pouvait, de près ou de loin, toucher à cet album, en premier ressort le signataire de cet article affublé du nom de Dante Carfagna qui puait le pseudo surtout au regard de sa profession revendiquée de "funk archaelogist".
Ce critique porta de très graves accusations: "There is no original music on the record, it's all recordings of Stang releases from Padro's record collection. A mixtape on wax, if you will". Du jamais vu à cette époque. A partir de là, R. fit son enquête qui l'amena à redécouvrir un groupe qu'il pensait connaitre. Il avait toujours adoré les Moments en faisant référence à l'un de leurs premiers albums "A Moment With The Moments" daté de 1970 qu'il portait au pinacle. Il se souvenait que leurs autres albums de la même époque étaient quasiment introuvables donc jamais écoutés. C'est pourquoi il ne reconnut aucun des morceaux à la première écoute de Reflections of Time, alors qu’une majorité des titres (9 sur 12 avait recensé R.) étaient inclus dans les albums des Moments que ce soient sur On top (1970), Best of Moments (1973), My Thing (1973) ou Those Sexy Moments (1974). Padro avait pris un malin plaisir à piquer dans tous les albums des Moments d'avant 1975 en dehors de celui qu'il connaissait. Ca avait le don de l'intriguer et de le faire gamberger. Son agacement était tel qu'il en oublia de vérifier l'hypothèse inverse à savoir si Sylvia Robinson, productrice des Moments, n'avait pas pillé, elle, le trésor d’un certain Padro. Après quelques scotchs bien arrosés, le détective R. arriva à la conclusion qu'il existait dans ce bas monde une secte fanatique et secrète, aux contours nébuleux, dont le but était d'arroser la terre de "faux semblants" musicaux de ce type, avec à sa tête un Mr Akardin qui se ferait appeler Padro et qui n'hésiterait pas à faire disparaitre toute personne voulant vendre la mèche, ce qui avait été le cas de notre pauvre distributeur nippon. Pour en savoir plus sur Padro, notre détective décida de traverser l'Atlantique et d'aller lui demander directement "Pourquoi ?"
ENGLEWOOD – NEW JERSEY :
Au croisement de la Queen Anne Road et l'avenue Englewood se nichait le Bubble Dreams Inc, une laverie automatique avec qui un vieux monsieur avait rendez-vous chaque semaine. Il était assis, sous la lumière clinique, la tête penchée, le nez aquilin enfoui dans ses mains lorsqu’il entendit distinctement à la radio, ce que d'habitude il percevait comme un aimable bruit de fond, le rap de Jay Z : "Empire State of Mind" qui samplait dès la douzième seconde le classique des Moments "Love On A Two Way Street". Il se leva à l’écoute de ces fameux accords de piano, ouvra grand ses bras et se rassit aussitôt car il n'avait nul public dans cette laverie. Par contre, le robinet des souvenirs s'ouvra à jet continu. Il se rappela, il y a fort bien longtemps, que son job consistait chaque nuit à nettoyer à l'autolaveuse les sols du "Soul Sounds Studio" qui appartenait alors au label All Platinum dirigé par Sylvia Robinson et son mari. Une de ses petites manies était de fouiller les poubelles afin d'extirper d'une mort certaine quelques bandes, quelques "Master Tape" abandonnées. Il les collectionnait et les écoutait, quasi religieusement, sur son vieux Revox la nuit très tard après son travail. Une nuit, alors qu'il passait l'autolaveuse dans le couloir, il s'aperçut que la session d'enregistrement n'était pas finie, un couple de chanteurs, sous les directives de Sylvia et Joe R., répétait inlassablement leurs gammes : l’homme et la femme devaient simuler dans la communion de leur chant le désir et le plaisir sur le titre "Joy". Tout de suite il pensa au film "L'important c'est d'aimer" qu'il venait de voir, apporté par la communauté polonaise du New Jersey, où dans la première scène, mémorable à ses yeux, une actrice ratée, interprétée par sa compatriote Romy Schneider, suppliait, gémissait de tout son être mais n'arrivait pas à dire un simple "je t'aime" à un homme à terre, ensanglanté, qu'elle enfourchait sous les cris hystériques d'une réalisatrice impitoyable : ce qui donnait à cette scène de film porno sordide une dimension quasi christique. Et sous ses yeux il vit la même scène avec une Sylvia Robinson tyrannisant ces deux colombes pour qu'elles puissent expulser le plus beau son, le plus beau chant nommé désir. Cette fois ci, il ne put s'empêcher de voler les bandes de ce qui aurait du être la suite de "Sexy Mamma". En l’honneur de tous ces morceaux ramassés et quelques fois volés, la plupart provenant des enregistrements des Moments, il voulut leur donner une deuxième chance en réunissant les meilleurs sur un florilège dont le titre résumerait ses sentiments :"Sweet Romantic and Sexy Joy". Restait à trouver le nom du groupe. Il se rappela quand il était jeune étudiant en physique quantique à Vienne dans les années 40 que le concept caché derrière le mot "Moment" était multiple : on pouvait parler, bien sur, du moment d'une force mais aussi du moment cinétique, quadratique, magnétique ... Il concéda que tout cela pouvait être un peu trop abscons pour le citoyen américain, c’est alors qu’il se souvint des cours de son vieux professeur de philosophie sur Bergson et de ses réflexions sur le temps. Adopté. Et parce qu'il avait une sacrée dose d'humour il créa l’hétéronyme d’origine mexicaine Padro Gray, qui devait être le plus éloigné de son pays natal et par la même de sa personnalité. Quand le rap de Jay -Z s'arrêta, il dit en yiddish "עס ס נישט איבער, עס וועט נאָך ופרייַסן און מיר וועט נאָך האָבן שפּאַס ..."* et la caméra fit un grand travelling arrière, passa par la fenêtre et prit de la hauteur sur la Queen Anne Road jusqu'à ce que la laverie ne soit plus qu'un point dans l'histoire.
* "c'est pas fini, ça va encore exploser et on va encore s'amuser ..."
EPILOGUE :
Le détective privé R. rentra en Europe, bredouille. Il n’avait pas réussi à retrouver la trace de Padro ; celui-ci s’était complétement volatilisé tel l’homme invisible. Mais le cordon ombilical qui les unissait ne s’était pas pour autant cassé, au contraire il résistait si fort que de nouveaux soupçons proliférèrent, de nouvelles conclusions s’imposèrent. En l’occurrence, le détective R. conclut que toute l’Harmony Soul provenait d’une seule et unique matrice originelle, d'une même genèse : l’œuvre des Moments, et que tout, entièrement tout ce qui succéda aux Moments n’était qu’un pur et vulgaire plagiat, commandité par un certain Padro…
Au même moment, nous pouvions trouver sur ebay la vente d’un nouvel acétate de Padro avec comme présentation le texte suivant :
"as if the legendary first reflections of time/padro lp(which i also have listed) wasn't rare enough, here we have a original 10" 4-song ep acetate for a second LP which as far as i can tell was never even properly released! I have to assume this to be the only known copy."
Le détective privé R. escalada quatre à quatre ...
Note : ?? stars /6 ou 5 stars /6 c'est selon.
Peu d'extraits avec son exécrable ( le complot continue ...) pour certains morceaux :
Joy (devrait être censuré) cover de Barry's Love dans l'album White Gold(Love Unlimited Orchestra) :
Joy
Reflections of Time Party : cover de I Wanna Stay de Love Unlimited Orchestra sur l'album Music Maestro Please :
Baby i'm a want you (Moments):
Ride Your Pony Girl (Moments):
Ride Your Pony Girl
Don't Go (Moments):
Autres extraits :
http://www.stereo-records.com/detail.php?itemCd=13023