Les deux principes à la base de l’argent en tant qu’intermédiaire des échanges sont quand même la confiance (sans quoi nos billets de banques n’auraient pas plus de valeur que des jetons de monopoly) et l’anonymat (un billet de banque ne dit pas qui a été son propriétaire ni comment il a été gagné). Sans quoi on en serait resté à l’ère du troc.
La liberté c’est formidable, à condition de se soucier d’autrui.
C’est aussi au nom de la liberté qu’on tolère des comportements spéculatifs dans l’immobilier qui font que de plus en plus de gens dorment dehors, que d’autres ne peuvent pas payer de vacances à leurs gosses tant leurs loyers et leurs traites absorbent leurs revenus, enfin que les gens qui font vivre une ville comme Paris sont de plus en plus repoussés à ses portes, voire à des centaines de kilomètres, avec d’autre choix que de passer chaque jours des heures dans les transports simplement pour subsister.
Tout ça pour satisfaire la liberté d’acheter de quelques privilégiés, qui achètent des biens pour y passer quelques week-end dans l’année, et celle de spéculer de quelques malins qui profitent de la situation pour s’enrichir à peu de frais (et en particulier sur le dos des autres).
Toutes proportions gardées c’est exactement le même mécanisme qui est à l’œuvre sur ebay : des spéculateurs et des « clients » prêts à tout pour satisfaire leur soif de posséder, d’avoir au lieu d’être (ou d’être par l’avoir). Et avec le même résultat : une majorité d’exclus qui n’ont que la liberté de regarder le train passer. Le fait que les gogos en question ne soient pas « riches » pour moi n’excuse rien. Dépenser 2000 ou 5000 $ dans un bout de plastique quand on gagne sont bifteck durement c’est faire peu de cas de sa famille, qui a sans doute d’autres besoins. Ou alors être quelque part inconscient.
Dans les ouvrages théoriques sérieux qui cherchent à en démontrer le bien-fondé, pour modéliser la supposée « loi de la l’offre et de la demande », on est contraint à introduire des hypothèses diverses (agent « preneurs de prix », « conjectures concurrentielles » c’est-à-dire des croyances particulières) afin d’éliminer les comportements spéculatifs. Pour la bonne et simple raison qu’en présence de ceux-ci, le principal « résultat » de la « science économique » n’est pas retrouvé : dès lors qu’il y a spéculation, la concurrence, ou la « loi de l’offre et de la demande » comme vous dites, ne débouche évidemment pas sur la satisfaction des plans individuels des participants au « marché » : on débouche inévitablement sur des situations de rationnement, comme dans la réalité.
Alors rationner les disques rares c’est évidemment secondaire. Le logement et, bientôt, les soins de santé, l’éducation, c’est un problème beaucoup plus grave. Mais apparemment il devrait être supporté par ceux qui en sont les victimes au non de la « liberté ».
C’est d’ailleurs le même discours (la liberté, l’argent justement et durement gagné, bla bla bla) qui permet à certains, outre-atlantique, de qualifier Obama de « communiste » au mieux, de « nazi » au pire, simplement parce qu’il a voulu mettre en place un système de santé au bénéfice des plus démunis. Les partisans de la liberté s’accommodent très bien du fait que d’aucuns, de plus en plus nombreux, soient laissés sur le bord de la route (et s’ils s’en trouvent mécontents ou finissent par déranger, il y a de toutes façons des prisons à meubler). Et ce matin le résultat est que des mecs qui ont du sang sur les mains et la responsabilité de la crise économique viennent de revenir aux affaires après à peine deux ans à raconter n’importe quoi et à bloquer leur propre pays.
Je ne crois plus aux mots creux qui sont toujours agités par les possédants pour donner une caution morale à leur comportement, et consolider un statut quo qui ne profite qu’à eux. Ceux qui triment pour joindre les deux bouts ne savent pas ce qu’est la liberté et n’ont surtout pas le temps d’y penser. Et c’est pour ça aussi qu’il se nourrissent de paroles creuses qui n’améliorent certainement pas leur quotidien
Enfin vous me parles de la « loi de l’offre et de la demande » mais c’est un truc qui n’existe pas dans la réalité ou seulement dans des cas particuliers. D’abord parce que ça laisse supposer que toute l’offre disponible est confrontée à l’ensemble de la demande à l’instant t. Situation évidemment exceptionnelle car dans la vrai vie, au contraire du monde fictif décrit par les manuels d’économie, la quasi-totalité des transactions se font de gré à gré (y compris, et bien entendu, à la bourse).
Les enchères sur ebay sont un bon exemple. A l’instant t tu as UN offreur, et non la totalité de l’offre disponible, face à une multitude d’acheteurs. Donc ça n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’on appelle « loi de l’offre et de la demande ». Un économiste célèbre, et libéral (David Ricardo), a bien expliqué au 19e siècle pourquoi les biens de collections ne peuvent constituer un objet d’étude économique. Leur valeur ne peut-être prédite car elle dépend avant tout de paramètres psychologiques (par exemple un type qui s’excite sur une enchère parce qu’il déteste perdre) qu’il n’est pas possible de théoriser. C’est incontestable, et prouvé par le fait qu’un bien présentant des caractéristiques similaires peut voir son prix de clôture varier du simple ou double en l’espace de quelques heures, phénomène mille fois observé sur ebay ou ailleurs. C’est pourquoi je persiste à penser qu’il n’existe pas de cotes, tant que l’offre justement n’est pas abondante, et encore.
Ensuite parce que dans la réalité on ne peut éliminer les comportements spéculatifs. La validité de la « loi de l’offre et de la demande » repose sur la double hypothèse que lorsque les prix augmentent, l’offre augmente et la demande baisse, et vice-versa. Ca permet d’obtenir une courbe croissante et une autre décroissante, et nécessairement un point ou les deux courbes se coupent, qu’on appelle équilibre. Or avec la spéculation, on peut très bien avoir une demande qui augmente quand le prix augmente (les spéculateurs font des stocks en prévoyant une augmentation continue des prix). Même conséquence avec des variables psychologiques tels que les comportement moutonniers ou les effet de mode (ça coûte cher et c’est recherché donc je désire acheter aussi même si le prix augmente car je me compare aux autres et veut leur ressembler ou les surpasser). D’où un problème élémentaire : si tu as deux courbes croissantes dans un graphique, il n’est pas besoin d’avoir fait polytechnique pour comprendre qu’il y a de fortes probabilités qu’elles ne se rencontrent jamais, et par conséquent qu’il n’y ait jamais « équilibre ».
Au total on invoque donc une « loi » qui n’existe pas, sauf en théorie et sous certaines hypothèses irréalistes, pour justifier un état de fait, et prétendre qu’il est inéluctable. En somme pour faire passer la pilule à ceux qui le supporte. Si on gratte un peu derrière les discours incantatoires, ce qu'on trouve en réalité c'est des rapports de force qu'on cherche à camoufler (sur le marché de l'immobilier comme sur celui du pétrole, de l'emploi, de l'énergie, etc.) parce que de fait il piétinnent tous les beaux principes et les mots creux (au monopoly quand tu n'as pas ou peu de jetons ta "liberté" est, de fait, égale à zéro).
Désolé pour la longueur, mais vous savez très bien qu’il ne faut pas me lancer sur ces sujets, et là vous m'avez tendu une bonne grosse perche.
Bien entendu j'espère que tout ce que j'écrit ne sort pas du cadre de la charte du forum. Sinon, vous pouvez bien entendu effacer.
