Jackie Wilson - Beautiful Day (Brunswick BL 754189, 1972)


Titres
A1 Beautiful Day 3:35
A2 Because Of You 3:30
A3 Go Away 3:25
A4 Pretty Little Angel Eyes 2:45
A5 Let's Love Again 3:02
B1 It's All Over 3:10
B2 I Get Lonely Sometimes 3:46
B3 This Love Is Mine 2:55
B4 Don't You Know I Love You 3:21
B5 What'Cha Gonna Do About Me 2:22
Crédits
Arrangements : William Sanders
Production : William Sanders, Carl Davis
- "Y faut que je me crashe en Porsche Spyder contre un platane pour exister ? Dis brother, c'est le seul moyen pour que les gens reconnaissent mon talent ? Dis moi brother ! " S'écria Jeff Perry à son grand frère Greg, producteur déjà confirmé.
Nous étions en 1973 et Jeff Perry venait de composer la totalité de l'album de Jackie Wilson "Beautiful Day" pour le label Brunswick.
Juste avant l'enregistrement, le boss Nat Tarnopol, grand échassier au fort accent d'Europe de l'Est, qui aurait pu être rabbin s'il n'avait pas eu comme passion le baseball et la musique soul, lui proposa de s'asseoir :
- "Le baseball est une question de centimètres, la vie est finalement l'affaire de quelques secondes, tu vois, alors que la soul est un long fleuve où souffle l'éternel, tu me dis si j't'embête avec mes histoires..."
- "Je trouve tes maquettes très bonnes, et je les verrais bien chantées par les Artistics, groupe malchanceux jusqu'ici, que je veux relancer et..." Nat s'arrêta car il vit Jeff baisser la tête et faire avec celle-ci un signe négatif, prêt à sortir du bureau.
- "Ok, Ok, alors je vais te faire une dernière proposition : ces chansons seront pour Jackie Wilson la star de Brunswick, ça te fait plaisir ?"
- "Avec tout le respect que je vous dois, ce Monsieur Wilson, que j'adore, me paraît un peu has been, ce serait un cheval sur le retour en quelque sorte, chante-t-il encore ?"
- "Bien sûr qu'il chante ! " stoppa net Nat d'un revers de main "... et tu verras qu'il possède une soif de vivre qui pourrait tous nous enterrer, et sa voix reste un continuum miracle"
Après quelques secondes, Nat reprit son calme et sourit de nouveau : "Alors demain au studio sans faute".
Toute l'équipe était présente quand les portes du Studio s'ouvrirent brusquement, deux poules aux coiffes afro montées sur des talons aiguilles s'engouffrèrent devançant un Jackie Wilson habillé en parfait gentleman, cape noire et pommeau en or, qui d'un geste théâtral s'adressa à la foule :
- "Bonj...Hum Hum" Sa voix naturelle sortit toute fluette contrastant avec son physique de boxeur ramassé et trapu; il racla la gorge, régla ses cordes vocales, et miracle nous entendîmes alors sa célèbre voix de ténor : "Salut, les garçons, je suis Jackie Wilson pour les gens qui ne me connaissent pas encore", son regard fit le tour du studio "... et pour ceux-ci je rappelle le règlement que tout le monde doit respecter", Jackie fit une pause et de sa voix la plus suave dit : "Primo on ne touche pas à mes demoiselles", il sourit à faire passer le soleil pour un coin d'ombre, et les deux poules de luxe se mirent à caqueter de plus belle obligeant le coq à sévir "Stop ! ...Secundo pas d'alcools ni de drogues pendant l'enregistrement, compris ?". Silence. "Tertio et dernier point, je veux de vous tous ici réunis de la joie de vivre car ma voce s'en nourrit, comme la Reine a besoin de sa ruche". Jackie fit quelques pas de danse à faire pâlir de jalousie un James Brown, traversa l'assemblée, passa à côté de Sonny Saunders : "Et le nain ! T'endors pas sur tes arrangements, les chansons du p'tit sont bonnes", et s'arrêta devant Jeff Perry qui était immense, le toisa les bras croisés, le menton en avant : "Félicitations, p'tit, je confirme et signe que j'ai vraiment hâte de poser ma voce sur le miel de tes chansons; un truc seulement, j'aimerais commencer par une sorte d'hymne à la joie pour fêter cet heureux évènement, à la hauteur de ce Beautiful Day, oui de ce Beautiful Day ! ... Alors tous au travail".
Toute la scène se passa à la vitesse de l'éclair si bien que sur ces derniers mots la porte du studio se referma laissant les quidams dehors sous une pluie battante et glaciale.
"Beautiful Day" : D'entrée la voix chaude de Jackie W. vous prend à la gorge, vous transforme, elle chante sur un tapis de bibelots carillonnants et épouse l'expression Beautiful day en la diffractant de mille et une harmonies. Le pont est ici magique : les violons traversent la plaine et chassent les nuages; les paroles deviennent alors inutiles, remplacées par des lalalalala enchanteurs et annonciateurs de la naissance d'un nouveau jour comme un envol d'oiseaux.
"Because Of You" : Les cuivres poussent, le tempo se fait Motown, la voix - plus haut perchée - s'énerve, craque, se vrille au contact des choeurs de sucre et sur le refrain elle jaillit telle une fontaine de passions. "Oh Baby, Sweet Baby !" : comment dire non face à tant de séduction ? Comment peut-on y être insensible ?
"Go Away" : Ça commence par une ballade au piano languide sur laquelle la voix vibre pour atteindre, strophe après strophe, l'élégiaque, un toit du monde qui finit par se fissurer à coup de cuivres tonitruants qui sont là pour marquer la séparation de deux êtres, et à cet instant la voix de Jackie tonne, à tout va, la désespérance...
- "Le prochain morceau a tout d'un hit, merci p'tit, tes compos m'inspirent tu sais, j'ai l'impression d'arpenter avec toi des nouveaux mondes après avoir dangereusement labouré le même sillon pendant des années..."
- "Mais comment faites vous pour sortir toutes ces harmonies inouïes ?" demanda Jeff.
- "Ha ha, p'tit, ça se travaille et j'ai eu la chance étant jeune d'avoir un Professore français au chant qui m'a enseigné la technique du canto sul fiato ou "chanter sur le souffle" qui me permet de maîtriser l'ampleur du son de la voix que celle-ci escalade des montagnes inaccessibles ou dévale des pentes sur un bobsleigh, qu'elle survole la stratosphère ou nage dans les eaux profondes, ma voix reste bien là... sans casser le fil initial, tu vois ?"
"Pretty Little Angel eyes" : Un mid tempo qui colle tout de suite à la peau; la voix cuivrée de Jackie illumine l'orchestre de ses harmonies, elle expose ses merveilles en poussant des entêtants "oh oh oh !" qui éclaboussent nos vies : le céleste n'est pas loin; la flûte se mêle à cette parade pour t'injecter le venin du désir et si cela ne suffisait pas les cordes portent l'estocade... on touche au divin !
"Let's Love Again" : Les cuivres et des choeurs câlins ouvrent le bal sur un mid tempo trop cheesy pour être vrai, la voix de Jackie perd de son éclat, devient criarde et fêlée : le bronze se fissure, le roi est nu et sa fragilité apparait tel un nuage rose...
L'hôtel se trouvait à quelques encablures du studio. Ce matin, Nat dépêcha Jeff d'aller chercher à son hôtel Jackie qui était très en retard, les musiciens attendaient et les heures du studio filaient...
Jeff frappa à la porte de la chambre, une petite voix fluette lui repondit "Oui, c'est à quel sujet ?" quand Jackie entre-aperçut la tête du géant Jeff dépasser la porte, il se racla la gorge, se peignit avec ses mains la Pompadour et de sa voix la plus enjôleuse : "Ok, je sais, on a eu un léger problème cette nuit avec une des demoiselles, nous avons dû partir à l'hôpital, mais maintenant cela va mieux, tout est à cause de ça " il désigna le sachet de poudre encore ouvert et les traces de nombreux rails de coke sur la table basse, il comprit tout de suite dans le regard de Jeff un rejet sinon un reproche : "Hé ne me juge pas, ne me juge jamais p'tit; je prends de cette saloperie car je ne peux pas faire autrement; depuis qu'une balle de revolver s'est placée à un pouce de ma colonne vertébrale; depuis cet instant je souffre comme un damné jour et nuit, tu peux comprendre p'tit ?"
Jeff rapporta cette conversation auprès de Nat qui surenchérit : "ça c'est de l'histoire ancienne, ça date de 1961, non ce que n'a pas supporté Jackie c'est le meurtre de son jeune fils Jackie Jr il y a deux ans, il a fini par plonger profondément dans l'alcool et la dope, il vit reclus et ses rares éclairs de lucidité, il les a lorsqu'il chante, lorsqu'il enregistre... Please n'en parle pas aux autres merci"
Dès son arrivée au studio, Jackie enchaîna un "Hé le nain, on enregistre "It's All Over", y'a intérêt que ton arrangement de cordes soit parfait, je veux des cordes primo qui frémissent comme des blés sous les alizés, secundo qui soient tendues comme un élastique pour que ma voce puisse rebondir dessus. Capito ?". Jackie Wilson avait la sale manie d'émailler ses phrases de mots italiens, "C'est mon coté Caruso" disait il.
Effectivement pour Jeff P. "It's All Over" devait être l'acmé de cette collection de chansons offerte à Jackie W. comme une offrande à son dieu. Il avait concentré dans ce titre tout ce que la soul pouvait exprimer, toutes les influences possibles, il avait même appelé à son chevet les fantômes de Marvin Gaye et de Curtis Mayfield...
"It's All Over": La voix de Jackie à la fois de flamme et de glace cristallise l'émotion comme une fleur emprisonnée par le temps; sur un thème marvinien tous les instruments sont en suspension, en attente de cette voix de Stentor qui va tous les emporter dans une coulée de lave inébranlable, mais d'où surgissent les plus beaux sons de violons depuis Mahler...
"I Get Lonely Sometimes" : Ballade dans laquelle les cordes charrient des émotions lourdes de pluie, avec en filigrane une mélodie, un fil autour duquel la voix cuivrée et larmoyante de Jackie s'enroule, supplie des "eh baby" et s'élève au dessus des frondaisons de cuivres où des notes cristallines égrenées par la harpe se transforment en gouttes de tristesse...
"This Love Is Mine" : La voix bouleversée de Jackie chantonne les amers larmoiements d'amours déçus; son chant se féminise, joue plutôt sur les aigus, les sous-entendus tandis que le bloc orchestral s'ouvre sur un paysage automnal où les cordes bourdonnent avec les choeurs...
"Don't You Know I Love you" : La rencontre d'un homme et d'une femme sur un tempo Motown, les cuivres pétaradants, un refrain qui part comme une fusée , la voix vibrante de Jackie assomme des "Baby listen to me", sur quoi les voix enjôleuses des choeurs répondent "I love you, I need you"...
- "Bordel !, Saunders, tu vas faire un effort sur tes arrangements de chiottes, c'est pour le p'tit !"
- "Monsieur Wilson, je voulais vous dire que... le p'tit s'appelle Jeff, je m'appelle Jeff Perry, et ce nom, un jour, sera..."
- "Aussi célèbre que le mien, je le sais, je ne le sais que trop bien Jeff !", un oeil pétillant, rieur tourné vers les demoiselles aux lèvres pourpres et aux narines enfarinées, et l'autre oeil hagard fixé sur le vide.
Au bord de l'épuisement, Jackie ne put sortir ce qu'il avait dans ses tripes, dans son coeur sur le dernier morceau "What'cha Gonna Do About Me" qui sera gravé dans une forme très classique, très old school alors que Jeff l'avait conçu comme une dernière symphonie...
Le lendemain, un petit matin pluvieux.
Le silence régnait dans la chambre d'hôtel envahie par le clair obscur, égayée seulement par quelques taches de chairs roses et lascives des demoiselles qui reposaient nues sur le lit. Il y avait bien longtemps que Jackie ne dormait plus, il se leva, nu également, marcha vers la table basse, hésita devant une nouvelle ligne de coke mais y renonça finalement, esquissa dans la pénombre quelques pénibles pas de danse, passa devant le miroir de la chambre qui renvoya une image qui lui fit peur, se dirigea alors vers les lourds rideaux mordorés transpercés par un léger rayon lumineux autour duquel gravitait une poussière d'étoiles aussi scintillantes qu'un habit de lumière. Il poussa de sa main manucurée ces tentures et plaqua sa tête nue contre la fenêtre froide, son regard essaya de fixer l'horizon le plus lointain qui s'assombrit sous les songes d'une nuit d'hiver charriant son lot de bruits et de fureurs. Des larmes coulèrent lentement sur son nez de boxeur et se reflétèrent sur la vitre noyée elle-même de gouttes de pluies qui ruisselaient sous la forme d'un test de Rorschach.
Et de sa voix fluette : "C'est sûr, aujourd'hui j'aurai pas le droit à un autre Beautiful Day ! Rideau."
Epilogue 1 :
Après l'enregistrement Jeff Perry ne revit plus Jackie Wilson. L'album sortit en catimini. Nat Tarnopol, malheureusement de plus en plus véreux, proposa à Jeff de travailler pour les Artistics ce qui déboucha sur un 45 tours et puis plus rien. Nat lui fit comprendre que sa place n'était plus chez Brunswick. Silence absolu jusqu'à la réalisation en 1979 de son disque solo "Jeffree" chez MCA et accessoirement son chef-d'oeuvre : LA SOUL OU DU RIFIFI DANS LA FRATRIE DES PERRY
Epilogue 2 :
Le 29 septembre 1975, lors de la tournée de "Good Ol' Rock and Roll Revue" du "The World's Oldest Teenager " Dick Clark, alors que la lune brillait d'un éclat mat, Jackie Wilson s'effondra sur scène d'une attaque cardiaque foudroyante pendant qu'il chantait ses dernières paroles "Just Give Me Another Chance" en plein milieu de "Lonely Teardrops". Il se recroquevilla, mit les genoux à terre, les mains tremblotantes essayant d'agripper une âme soeur dans le vide, pour s'allonger inerte la face tournée vers son public tout d'un coup silencieux. "Ah ce Jackie quel bon acteur !" se félicita Dick Clark.
Il tomba dans un coma profond qui dura pendant 8 ans jusqu'à sa mort le 21 janvier 1984 à l'âge de 49 ans. Il fut enterré dans une tombe anonyme au cimetière Westlawn près de Detroit.
Epilogue 3 :
Une des demoiselles de Wilson qui était toujours en relation avec Jeff Perry le contacta par téléphone :
- "Jackie Wilson est mort pour de bon, on l'a enterré ce matin comme un misérable... Eh Jeffree tu es là ?"
Un rayon oblique du soleil éblouit le visage sans voix de Jeff, plusieurs secondes passèrent :
- "Si, si... Je réfléchissais et j'me disais que ce sera sûrement un Beautiful Day !"
Note : 6 stars /6
Beautiful Day :
Because Of You:
Go Away :
Pretty Little Angel Eyes:
Let's Love Again:
It's All Over:
I Get Lonely Sometimes:
This Love Is Mine:
Don't You Know I Love You:
What'Cha Gonna Do About Me: