Bobbi Humphrey - Fancy Dancer
Posté : 08 déc. 2011 00:09
LE DERNIER ESCARPIN DORE DE LA "LITTLE" CENDRILLON SOUL
Bobbi Humphrey – Fancy Dancer (Blue Note BN-LA550-G, 1975)
Titres
A1 Uno Esta 6:40
A2 The Trip 5:36
A3 You Make Me Feel So Good 6:12
B1 Fancy Dancer 5:42
B2 Mestizo Eyes 4:49
B3 Sweeter Than Sugar 4:20
B4 Please Set Me At Ease 6:05
Crédits
Bobbi Humphrey : flûte, chant
Augie Rey, Bobbi Humphrey, Fonce Mizell, Jesse Acuna, Katherine Lyra, Larry Mizell, Rosario Davila, Sónia Tavares : chant
Chuck Rainey : basse
Fonce Mizell : clavinet, synthétiseurs [Solina], trompette
Mayuto Correa : congas
Harvey Mason : batterie
Craig McMullen : guitare
John Rowin : guitare
Dorothy Ashby : harpe
Roger Glenn : marimba, vibraphone
Skip Scarborough : piano, piano électrique [Fender Rhodes], clavinet
Jerry Peters : piano, piano électrique [Fender Rhodes], synthétiseurs [Arp]
Larry Mizell : piano, synthétiseurs [Solina, Arp], piano électrique [Fender Rhodes]
Tyree Glenn, Jr. : saxophone ténor
Julian Priester : trombone
Oscar Brashear : trompette
Arrangements [chœurs] – Larry Mizell, Fonce Mizell
Direction d'orchestre : Fonce Mizell, Larry Mizell, Sigidi
Producteur : Chuck Davis, Larry Mizell
La nuit. Une chambre de motel au bord du monde.
Barbara Ann "Bobbi" Humphrey. Son visage souillé au milieu de draps en coton froissés.
Quelle chute vertigineuse ! Bobbi s'agrippait à tout, à la réalité qui lui échappait, aux bouteilles éparses de Gin, à la pipe en ivoire à se défoncer, au crachotement d'un vieux transistor dans ce motel miteux, alors que la lumière de la gloire était toujours fixée sur elle et que les trophées s'accumulaient.
Pourtant Les frères Mizell lui avaient annoncé cette fin :
- "My Little Cendrillon, écoute nous, n'aie pas peur mais il faut que tu saches : à l'instant où la dernière note de musique de "Fancy Dancer" sera enregistrée, tu vois, ce sera comme le dernier coup de minuit : oui tout disparaitra, my little Cendrillon, nos chemins se sépareront définitivement, à toi de prendre au vol une autre chance ...mais sans nous".
Bobbi fut saisie d'un fou rire, hystérique et rauque à l'opposé de la délicatesse des notes qui pouvaient sortir de sa flûte. Les frères Mizell tinrent leurs paroles et ce fut soudainement, pour elle, le vide et l'abandon.
Furieuse contre les frangins, elle demanda à une de ses connaissances, le détective privé R., qui l'avait aidé l'année précédente à rechercher le père biologique du gosse sur la pochette de "Satin Doll", d'enquêter sur eux.
Le détective R. lui fit ce récit étrange :
"Rapport sur les aveugles"
Par une nuit pluvieuse, les lumières abrasives de Luna Park scintillaient et irradiaient l'ile de Coney Island où se rendaient souvent les frères Mizell entre deux enregistrements à LA. La grande roue, épave tutoyant le ciel aux nacelles défoncées, les baraquements forains à l'état délabré, un endroit quasi désert où l'on s'attendait à voir surgir à chaque coin de ruelle des nains hilares et paillards sortants du spectacle "Lilliputia", mais ce soir on devait se contenter de quelques mendiants avinés et de quelques jeunes désœuvrés à la recherche de la came providentielle sous les porches que giflait une pluie dorénavant de plus en plus forte.
"Quel drôle d'endroit ! " se fit comme remarque R. au moment où il aperçut les frères Mizell sous l'écriteau aux lettres géantes "Dreamland" qui surplombait un terrain vague et défraichi près de la station de métro. Ils furent rejoints par une silhouette à la démarche raide et saccadée qui s'aidait d'une canne. R. mit longtemps avant de comprendre qu'il s'agissait d'un aveugle encapuchonné qui s'engagea, suivi des frères Mizell, dans une ruelle sombre finissant en cul de sac par une porte en bois pourri où était écrit "Danger : entrée des catacombes".
R. hésita quelques secondes, décida finalement de les suivre et ce fut sa descente aux enfers.
Avec sa lampe torche, au mécanisme défaillant, il s'enfonça dans les profondeurs de couloirs et d'escaliers sans fin, un labyrinthe à l'odeur fétide des égouts, aux parois suintantes de peur, les pieds dans une eau à l'agitation fourmillante et grouillante, alors qu'au dessus de lui jaillissaient des créatures nictomorphes. Il se repérait au cliquetis de la canne qui résonnait sur les murs. Il faisait attention à ne pas chuter quand , d'un coup, sa lampe torche rendit l'âme. Tout d'abord, il n'y eut plus que la nuit ténébroso et le silence. Un léger tintement mat et régulier resurgit au loin puis survinrent des bruits tourbillonnants et chaotiques qui l'emprisonnèrent comme dans une nasse. Et c'est à ce moment là qu'il paniqua, marcha de plus en plus vite puis courut, poursuivit par ces créatures maléfiques dans un labyrinthe qui semblait se rétrécir au fur et à mesure de sa course et malmené par des chauves souris hystériques qui se jetaient contre lui ...
Il entendit un coup de feu retentir, crut que la balle l'avait atteint, s'arrêta, ses mains palpant sa tête, son corps à la recherche d'une blessure. Quand il voulut regarder ses mains, celles -ci furent éclairées par une lampe qui était tenue à quelques mètres de là par une silhouette sombre qui lui cria :
- "Vous allez bien ? Je vous ai surement fait peur, mille excuses, j'étais entrain de chasser l'alligator, car figurez vous ces égouts regorgent d'alligators, plus précisément d'alligators goules. A force de boire le sang de leurs victimes, ils se sont transformés en d'immondes créatures difformes, c'est pour cela qu'on les chasse, qu'on les tue".
Ils retrouvèrent la sortie et la pluie froide mouilla le visage de R. et se mélangea à sa sueur, éliminant progressivement sa torpeur.
Le deuxième soir, le détective privé R. était à son poste. Il vit les frères Mizell descendre d'une limousine noire et s'engouffrer directement dans les catacombes.
Cette fois ci R. prit ses précautions et ne s'éloigna pas plus d'une dizaine de mètres de sa cible. Il parcourut les mêmes obscurs labyrinthes que la veille, matrices maternelles de quelques monstres fabuleux, descendant les mêmes escaliers glissants aux marches de géant, jusqu'à un long tunnel étroit et étiré qui s'ouvra, d'un coup, comme un vagin aux dimensions démesurées et qui se révéla être des thermes romains aux hauteurs vertigineuses et aux couleurs ocres et crayeuses dans lesquels se trouvaient quelques dizaines d'hommes munis tous d'une cagoule et de lunettes noires.
- "Ces thermes romains étaient à la mode chez les architectes New Yorkais à l'aube du 20ème siècle : un peuple sans Histoires se devait d'emprunter les légendes des autres..." philosopha R. qui reconnut les frères Mizell dans le palestre près d'une piscine vide et discutant avec le chef de la secte, un petit homme à la moustache fournie avec des énormes lunettes teintées qui lui mangeait le visage.
Il se faisait appeler "Ernesto Sabato" par ces concitoyens aveugles aux cannes blanches luisantes qui crièrent son nom lorsque commença le rite qui devait être le clou de cette cérémonie.
Ernesto S. se rapprocha de l'autel, sous les hourras, jeta un drap blanc qui recouvrait le corps svelte et nu d'une personne dont on ne pouvait connaitre le sexe là où était placé R.
Avec un couteau à la lame fine il coupa d'un coup sec la jugulaire, le sang jaillit aussitôt et fut recueilli dans un calice d'or orné d'émaux qu'il tendit aux frères Mizell qui s'empressèrent d'y poser leurs lèvres gourmandes.
- "P...., c'est donc ça ...la source de leur inspiration aux frangins : un mélange d'aveugles sectaires et de vampirisme à la noix " conclut R. - qui continua, par ailleurs d'enquêter sur les vampires pour le compte d'Anne Rice dans "Entretien avec un vampire" sorti l'année suivante -.
Le calice passait de mains en mains, le sang giclait sur leurs cagoules, les rires étaient francs sous leurs lunettes noires pendant ce temps les splendides fresques murales qui illuminaient les thermes s'effaçaient lentement à la lumière de ce spectacle comme anéanties par l'air empli de sang.
"Fancy Dancer ou l'hymne au soleil" :
- "My Little Cendrillon" lui parlèrent les frères Mizell ...
Uno Esta.
- "My Little Cendrillon, nos nouveaux amis argentins nous ont inspirés, ça a commencé en juillet dernier tu sais avec "Los Conquistadores Chocolates" pour Johnny Hammond, nous adorons ces rythmes latins, c'est une fête flamboyante ô combien magique, on a mis en avant des lignes de percus de toutes sortes qui font des étincelles, on a ajouté quelques gimmicks de synthés et de cuivres, maintenant my little Cendrillon fonds toi dans cette orgie sonore et sors nous un solo de flûte qui claque ... pour que ta fête soit celle qui illumine la nuit et soit celle qui enivre nos sens éblouis ..."
The Trip.
- "My Little Cendrillon, cela va être un voyage fabuleux, la ligne de synthé trouvée par Chuck Davis est géniale, elle te fout des putains de frissons, alors nous irons croquer des champignons hallucinogènes du Mexique, la chair des dieux, ah ah, je blague, plus sérieux, my little Cendrillon, connais tu Monsieur Borges l'aveugle et ses labyrinthes ?"
- "Labyrinthe c'est sombre et ça me fout la frousse"
- "Mais ici ce sont des labyrinthes solaires où tu croises des tigres bleus qui se laissent chevaucher et avec qui tu traverseras des paysages de sable ..."
You Make Me Feel So Good.
- "My Little Cendrillon, cette chanson : nous te l'offrons c'est notre cadeau ultime, c'est notre romance pour toi, nous sommes un peu tes chevaliers et toi notre amour courtois, nous souffrons de trop t'aimer,
et comme dirait un poète français de l'ancien temps, my little Cendrillon : "Notre amour se consume en maintes braises avivées par les notes pluvieuses que ta flûte déverse sur nos âmes à jamais perdues ...""
Fancy Dancer.
- "My Little Cendrillon, voici le temps d'une danse céleste, ta flûte doit mimer le chamane quand il chante, gesticule et danse, tu dois habiter son esprit, tu dois répondre à son extase, my little Cendrillon, tu verras c'est pas difficile ..."
Mestizo Eyes.
- "My Little Cendrillon, tu as déjà vu les yeux intenses de ces indiens métis ? on y voit des lacs bleus immenses et glacés puis de temps en temps on y voit des cavaliers conquistadors pourchassés tenant leur gorge transpercée par une flèche empoisonnée, le sang perlant derrière eux. Nous voulons que tu t'en inspires: laisse flotter ta flûte, laisse la t'emporter dans des terres inconnues ..."
Sweeter than Sugar.
- "My Little Cendrillon", c'est un morceau solaire, on a voulu des chœurs très Sunshine Pop pour t'accompagner, ta flûte sera comme une aurore radieuse aux doigts de rose comme dirait le poète aveugle Homère, la lumière doit en jaillir, les fleurs de lotus bleu s'ouvriront au son de ta flûte, my little Cendrillon tu comprends ?"
Please Set Me At Ease.
- "My Little Cendrillon, c'est notre dernier titre, c'est notre dernière histoire ensemble, c'est là où nos chemins se séparent, tu le sais, alors ce que nous aimerions c'est que cette fin soit finalement l'acte d'une naissance, un enfantement, tu vois ... une petite comptine au piano par notre mystérieux Scarborough sur une boite à rythme et là tu ouvres ton cœur, tu susurres de ta voix la plus enfantine et la plus charnelle "Oh please, please" et les frères Mizell vont te concocter, en contrepoint, les plus belles harmonies, les nappes de synthés les plus suaves, les chœurs les plus sucrés car, my little Cendrillon, :
"heureuse tu es de naître parmi les vivants !"
Le motel (suite) :
Le dernier coup de minuit finit par retentir au même moment que la sonnerie de téléphone qui résonna dans la chambre de ce motel miteux.
- "Ici Stevie, Stevie Wonder à l'appareil"
- "Pardon ? tu es le Stevie de l'équipe de Berry Gordy de la Motown ? " dit la voix embrouillée de Bobbi qui n'arrivait pas à sortir de son état comateux.
- "Oui ! lui-même , excusez moi pour l'heure tardive, Little Cendrillon, je peux vous appeler comme cela ?" répondit Stevie de sa voix chaude; Bobbi crut devenir folle; les images s'entrechoquèrent : les
frères Mizell, la secte des aveugles, la légende de Cendrillon et la voix de son idole Stevie. Elle bafouilla ...
- "J'ai eu votre numéro par votre amie Dorothy Ashby... et j'aimerais vous proposer de participer à mon prochain album, un double, qui s'appelera "Songs in the Key of Life", ça vous dit ?"
Aucune réponse, le silence, les yeux de Bobbi fixés dans le vide, les orbites grands ouverts, les conquistadors sauvages n'arrêtant pas de défiler devant elle ...
Finalement Bobbi Humphrey enregistra "Another Star" qui fut un fort succès, par ailleurs, elle obtint la même année la palme du "Best Female Instrumentalist" par Billboard.
Et au fur et à mesure des années qui passaient, notre "Little Cendrillon" se transforma, se métamorphosa en Icone Photoshop lisse de toute aspérité, vide de toute inspiration : elle était devenue en vieillissant une parfaite "Satin Doll".
Note: 6 stars / 6
Extraits :
Uno Esta :
The Trip :
You Make Me Feel So Good :
Fancy Dancer :
Mestizo Eyes :
Sweeter Than Sugar :
Please Set Me At Ease :
Bobbi Humphrey – Fancy Dancer (Blue Note BN-LA550-G, 1975)
Titres
A1 Uno Esta 6:40
A2 The Trip 5:36
A3 You Make Me Feel So Good 6:12
B1 Fancy Dancer 5:42
B2 Mestizo Eyes 4:49
B3 Sweeter Than Sugar 4:20
B4 Please Set Me At Ease 6:05
Crédits
Bobbi Humphrey : flûte, chant
Augie Rey, Bobbi Humphrey, Fonce Mizell, Jesse Acuna, Katherine Lyra, Larry Mizell, Rosario Davila, Sónia Tavares : chant
Chuck Rainey : basse
Fonce Mizell : clavinet, synthétiseurs [Solina], trompette
Mayuto Correa : congas
Harvey Mason : batterie
Craig McMullen : guitare
John Rowin : guitare
Dorothy Ashby : harpe
Roger Glenn : marimba, vibraphone
Skip Scarborough : piano, piano électrique [Fender Rhodes], clavinet
Jerry Peters : piano, piano électrique [Fender Rhodes], synthétiseurs [Arp]
Larry Mizell : piano, synthétiseurs [Solina, Arp], piano électrique [Fender Rhodes]
Tyree Glenn, Jr. : saxophone ténor
Julian Priester : trombone
Oscar Brashear : trompette
Arrangements [chœurs] – Larry Mizell, Fonce Mizell
Direction d'orchestre : Fonce Mizell, Larry Mizell, Sigidi
Producteur : Chuck Davis, Larry Mizell
La nuit. Une chambre de motel au bord du monde.
Barbara Ann "Bobbi" Humphrey. Son visage souillé au milieu de draps en coton froissés.
Quelle chute vertigineuse ! Bobbi s'agrippait à tout, à la réalité qui lui échappait, aux bouteilles éparses de Gin, à la pipe en ivoire à se défoncer, au crachotement d'un vieux transistor dans ce motel miteux, alors que la lumière de la gloire était toujours fixée sur elle et que les trophées s'accumulaient.
Pourtant Les frères Mizell lui avaient annoncé cette fin :
- "My Little Cendrillon, écoute nous, n'aie pas peur mais il faut que tu saches : à l'instant où la dernière note de musique de "Fancy Dancer" sera enregistrée, tu vois, ce sera comme le dernier coup de minuit : oui tout disparaitra, my little Cendrillon, nos chemins se sépareront définitivement, à toi de prendre au vol une autre chance ...mais sans nous".
Bobbi fut saisie d'un fou rire, hystérique et rauque à l'opposé de la délicatesse des notes qui pouvaient sortir de sa flûte. Les frères Mizell tinrent leurs paroles et ce fut soudainement, pour elle, le vide et l'abandon.
Furieuse contre les frangins, elle demanda à une de ses connaissances, le détective privé R., qui l'avait aidé l'année précédente à rechercher le père biologique du gosse sur la pochette de "Satin Doll", d'enquêter sur eux.
Le détective R. lui fit ce récit étrange :
"Rapport sur les aveugles"
Par une nuit pluvieuse, les lumières abrasives de Luna Park scintillaient et irradiaient l'ile de Coney Island où se rendaient souvent les frères Mizell entre deux enregistrements à LA. La grande roue, épave tutoyant le ciel aux nacelles défoncées, les baraquements forains à l'état délabré, un endroit quasi désert où l'on s'attendait à voir surgir à chaque coin de ruelle des nains hilares et paillards sortants du spectacle "Lilliputia", mais ce soir on devait se contenter de quelques mendiants avinés et de quelques jeunes désœuvrés à la recherche de la came providentielle sous les porches que giflait une pluie dorénavant de plus en plus forte.
"Quel drôle d'endroit ! " se fit comme remarque R. au moment où il aperçut les frères Mizell sous l'écriteau aux lettres géantes "Dreamland" qui surplombait un terrain vague et défraichi près de la station de métro. Ils furent rejoints par une silhouette à la démarche raide et saccadée qui s'aidait d'une canne. R. mit longtemps avant de comprendre qu'il s'agissait d'un aveugle encapuchonné qui s'engagea, suivi des frères Mizell, dans une ruelle sombre finissant en cul de sac par une porte en bois pourri où était écrit "Danger : entrée des catacombes".
R. hésita quelques secondes, décida finalement de les suivre et ce fut sa descente aux enfers.
Avec sa lampe torche, au mécanisme défaillant, il s'enfonça dans les profondeurs de couloirs et d'escaliers sans fin, un labyrinthe à l'odeur fétide des égouts, aux parois suintantes de peur, les pieds dans une eau à l'agitation fourmillante et grouillante, alors qu'au dessus de lui jaillissaient des créatures nictomorphes. Il se repérait au cliquetis de la canne qui résonnait sur les murs. Il faisait attention à ne pas chuter quand , d'un coup, sa lampe torche rendit l'âme. Tout d'abord, il n'y eut plus que la nuit ténébroso et le silence. Un léger tintement mat et régulier resurgit au loin puis survinrent des bruits tourbillonnants et chaotiques qui l'emprisonnèrent comme dans une nasse. Et c'est à ce moment là qu'il paniqua, marcha de plus en plus vite puis courut, poursuivit par ces créatures maléfiques dans un labyrinthe qui semblait se rétrécir au fur et à mesure de sa course et malmené par des chauves souris hystériques qui se jetaient contre lui ...
Il entendit un coup de feu retentir, crut que la balle l'avait atteint, s'arrêta, ses mains palpant sa tête, son corps à la recherche d'une blessure. Quand il voulut regarder ses mains, celles -ci furent éclairées par une lampe qui était tenue à quelques mètres de là par une silhouette sombre qui lui cria :
- "Vous allez bien ? Je vous ai surement fait peur, mille excuses, j'étais entrain de chasser l'alligator, car figurez vous ces égouts regorgent d'alligators, plus précisément d'alligators goules. A force de boire le sang de leurs victimes, ils se sont transformés en d'immondes créatures difformes, c'est pour cela qu'on les chasse, qu'on les tue".
Ils retrouvèrent la sortie et la pluie froide mouilla le visage de R. et se mélangea à sa sueur, éliminant progressivement sa torpeur.
Le deuxième soir, le détective privé R. était à son poste. Il vit les frères Mizell descendre d'une limousine noire et s'engouffrer directement dans les catacombes.
Cette fois ci R. prit ses précautions et ne s'éloigna pas plus d'une dizaine de mètres de sa cible. Il parcourut les mêmes obscurs labyrinthes que la veille, matrices maternelles de quelques monstres fabuleux, descendant les mêmes escaliers glissants aux marches de géant, jusqu'à un long tunnel étroit et étiré qui s'ouvra, d'un coup, comme un vagin aux dimensions démesurées et qui se révéla être des thermes romains aux hauteurs vertigineuses et aux couleurs ocres et crayeuses dans lesquels se trouvaient quelques dizaines d'hommes munis tous d'une cagoule et de lunettes noires.
- "Ces thermes romains étaient à la mode chez les architectes New Yorkais à l'aube du 20ème siècle : un peuple sans Histoires se devait d'emprunter les légendes des autres..." philosopha R. qui reconnut les frères Mizell dans le palestre près d'une piscine vide et discutant avec le chef de la secte, un petit homme à la moustache fournie avec des énormes lunettes teintées qui lui mangeait le visage.
Il se faisait appeler "Ernesto Sabato" par ces concitoyens aveugles aux cannes blanches luisantes qui crièrent son nom lorsque commença le rite qui devait être le clou de cette cérémonie.
Ernesto S. se rapprocha de l'autel, sous les hourras, jeta un drap blanc qui recouvrait le corps svelte et nu d'une personne dont on ne pouvait connaitre le sexe là où était placé R.
Avec un couteau à la lame fine il coupa d'un coup sec la jugulaire, le sang jaillit aussitôt et fut recueilli dans un calice d'or orné d'émaux qu'il tendit aux frères Mizell qui s'empressèrent d'y poser leurs lèvres gourmandes.
- "P...., c'est donc ça ...la source de leur inspiration aux frangins : un mélange d'aveugles sectaires et de vampirisme à la noix " conclut R. - qui continua, par ailleurs d'enquêter sur les vampires pour le compte d'Anne Rice dans "Entretien avec un vampire" sorti l'année suivante -.
Le calice passait de mains en mains, le sang giclait sur leurs cagoules, les rires étaient francs sous leurs lunettes noires pendant ce temps les splendides fresques murales qui illuminaient les thermes s'effaçaient lentement à la lumière de ce spectacle comme anéanties par l'air empli de sang.
"Fancy Dancer ou l'hymne au soleil" :
- "My Little Cendrillon" lui parlèrent les frères Mizell ...
Uno Esta.
- "My Little Cendrillon, nos nouveaux amis argentins nous ont inspirés, ça a commencé en juillet dernier tu sais avec "Los Conquistadores Chocolates" pour Johnny Hammond, nous adorons ces rythmes latins, c'est une fête flamboyante ô combien magique, on a mis en avant des lignes de percus de toutes sortes qui font des étincelles, on a ajouté quelques gimmicks de synthés et de cuivres, maintenant my little Cendrillon fonds toi dans cette orgie sonore et sors nous un solo de flûte qui claque ... pour que ta fête soit celle qui illumine la nuit et soit celle qui enivre nos sens éblouis ..."
The Trip.
- "My Little Cendrillon, cela va être un voyage fabuleux, la ligne de synthé trouvée par Chuck Davis est géniale, elle te fout des putains de frissons, alors nous irons croquer des champignons hallucinogènes du Mexique, la chair des dieux, ah ah, je blague, plus sérieux, my little Cendrillon, connais tu Monsieur Borges l'aveugle et ses labyrinthes ?"
- "Labyrinthe c'est sombre et ça me fout la frousse"
- "Mais ici ce sont des labyrinthes solaires où tu croises des tigres bleus qui se laissent chevaucher et avec qui tu traverseras des paysages de sable ..."
You Make Me Feel So Good.
- "My Little Cendrillon, cette chanson : nous te l'offrons c'est notre cadeau ultime, c'est notre romance pour toi, nous sommes un peu tes chevaliers et toi notre amour courtois, nous souffrons de trop t'aimer,
et comme dirait un poète français de l'ancien temps, my little Cendrillon : "Notre amour se consume en maintes braises avivées par les notes pluvieuses que ta flûte déverse sur nos âmes à jamais perdues ...""
Fancy Dancer.
- "My Little Cendrillon, voici le temps d'une danse céleste, ta flûte doit mimer le chamane quand il chante, gesticule et danse, tu dois habiter son esprit, tu dois répondre à son extase, my little Cendrillon, tu verras c'est pas difficile ..."
Mestizo Eyes.
- "My Little Cendrillon, tu as déjà vu les yeux intenses de ces indiens métis ? on y voit des lacs bleus immenses et glacés puis de temps en temps on y voit des cavaliers conquistadors pourchassés tenant leur gorge transpercée par une flèche empoisonnée, le sang perlant derrière eux. Nous voulons que tu t'en inspires: laisse flotter ta flûte, laisse la t'emporter dans des terres inconnues ..."
Sweeter than Sugar.
- "My Little Cendrillon", c'est un morceau solaire, on a voulu des chœurs très Sunshine Pop pour t'accompagner, ta flûte sera comme une aurore radieuse aux doigts de rose comme dirait le poète aveugle Homère, la lumière doit en jaillir, les fleurs de lotus bleu s'ouvriront au son de ta flûte, my little Cendrillon tu comprends ?"
Please Set Me At Ease.
- "My Little Cendrillon, c'est notre dernier titre, c'est notre dernière histoire ensemble, c'est là où nos chemins se séparent, tu le sais, alors ce que nous aimerions c'est que cette fin soit finalement l'acte d'une naissance, un enfantement, tu vois ... une petite comptine au piano par notre mystérieux Scarborough sur une boite à rythme et là tu ouvres ton cœur, tu susurres de ta voix la plus enfantine et la plus charnelle "Oh please, please" et les frères Mizell vont te concocter, en contrepoint, les plus belles harmonies, les nappes de synthés les plus suaves, les chœurs les plus sucrés car, my little Cendrillon, :
"heureuse tu es de naître parmi les vivants !"
Le motel (suite) :
Le dernier coup de minuit finit par retentir au même moment que la sonnerie de téléphone qui résonna dans la chambre de ce motel miteux.
- "Ici Stevie, Stevie Wonder à l'appareil"
- "Pardon ? tu es le Stevie de l'équipe de Berry Gordy de la Motown ? " dit la voix embrouillée de Bobbi qui n'arrivait pas à sortir de son état comateux.
- "Oui ! lui-même , excusez moi pour l'heure tardive, Little Cendrillon, je peux vous appeler comme cela ?" répondit Stevie de sa voix chaude; Bobbi crut devenir folle; les images s'entrechoquèrent : les
frères Mizell, la secte des aveugles, la légende de Cendrillon et la voix de son idole Stevie. Elle bafouilla ...
- "J'ai eu votre numéro par votre amie Dorothy Ashby... et j'aimerais vous proposer de participer à mon prochain album, un double, qui s'appelera "Songs in the Key of Life", ça vous dit ?"
Aucune réponse, le silence, les yeux de Bobbi fixés dans le vide, les orbites grands ouverts, les conquistadors sauvages n'arrêtant pas de défiler devant elle ...
Finalement Bobbi Humphrey enregistra "Another Star" qui fut un fort succès, par ailleurs, elle obtint la même année la palme du "Best Female Instrumentalist" par Billboard.
Et au fur et à mesure des années qui passaient, notre "Little Cendrillon" se transforma, se métamorphosa en Icone Photoshop lisse de toute aspérité, vide de toute inspiration : elle était devenue en vieillissant une parfaite "Satin Doll".
Note: 6 stars / 6
Extraits :
Uno Esta :
The Trip :
You Make Me Feel So Good :
Fancy Dancer :
Mestizo Eyes :
Sweeter Than Sugar :
Please Set Me At Ease :